XXIII

Au dernier étage souterrain de Lanferman Associates, plus ou moins directement sous la ville californienne de San José, Pete Freid était assis devant son établi extensible. Autour de lui, les machines-outils étaient immobiles, silencieuses.

Il regardait le numéro d’octobre 2003 de la bande dessinée africaine « L’homme-Pieuvre Bleu de Titan » ; ses lèvres remuaient de temps à autre tandis qu’il passait au crible l’aventure de l’Homme-Pieuvre bleu qui affrontait « la créature atroce et hostile surgie à la surface de la planète Io après un sommeil de deux milliards d’années dans les profondeurs de cette planète. » Il en était au moment où l’Homme-Pieuvre bleu reprenait conscience grâce aux efforts télépathiques, frénétiques de son fidèle assistant, et parvenait à convertir son détecteur G portable de radiations en un « émanateur bi-polaire ionisant magnéto-cathodique ».

Avec cet émanateur, l’Homme-Pieuvre-bleu menaçait la créature atroce et hostile qui essayait d’enlever Mlle Whitecotton (Coton-blanc pour les Français), l’amie au teint noir et aux mamelles bien formées de l’Homme-Pieuvre bleu. La créature avait réussi à déchirer la blouse de Mlle Whitecotton, découvrant ainsi un sein – un seul, comme le spécifiait la loi internationale qui réglementait sévèrement le matériel de lecture des enfants. Ce sein, exposé à la lueur vacillante du ciel d’Io, battait chaudement et commença à bouger vraiment quand Pete actionna le petit levier qui commandait le mouvement de la page. Le téton se dilata, semblable à une petite ampoule phosphorescente qui s’agitait dans les trois dimensions, et il aurait continué indéfiniment à se le trémousser jusqu’à usure totale de la pile garantie pour fonctionner cinq ans, si Pete n’y avait mis fin.

Le doigt de Pete caressait le tabulateur de son. Les héros de la bande conversaient d’une voix grêle. Il soupira : il avait noté jusqu’alors seize « armes » différentes, mais la télé venait d’annoncer que Boise, dans l’Idaho, ne répondait plus. La ville avait disparu derrière le « rideau gris », comme l’appelaient maintenant les reporters de la télé et des journs.

Le rideau gris de la mort.

Sur son bureau, le vidéophone sonna. Le visage fatigué de Lars apparut sur l’écran.

— De retour ?

— Oui. À mon bureau de New York.

— Dites-moi, qu’allez-vous faire maintenant que la S.A.M. Lars n’a plus de raison d’être, ni à New York ni à Paris ?

— Est-ce vraiment important ? Dans une heure, je dois me présenter au Conseil, dans le Kremlin.

— Ses membres siègent sans arrêt sous terre, au cas où l’ennemi attaquerait la capitale. Je vous conseille de rester sous terre, vous aussi. D’après ce qu’on sait, le dispositif de l’ennemi n’a d’effet qu’en surface.

Pete se sentait découragé, malade physiquement. Il acquiesça d’un signe de tête :

— Qu’en dit Maren ? Lars hésita un instant :

— Je n’ai pas encore parlé à Maren. Le fait est que j’ai ramené ici Lilo Toptchev. Elle est à côté de moi.

— Montre-la moi.

— Pourquoi ?

— Pour que je puisse voir comment elle est faite. C’est tout.

Sur l’écran surgit le visage ensoleillé, tout simple d’une jeune fille au teint légèrement pâle, avec des yeux étranges, un peu rétrécis, attentifs, et une bouche aux lèvres closes, presque pincées. Elle avait l’air à la fois effrayé et dur. Il a ramené avec lui cette gosse, se dit Pete. Pourra-t-il s’entendre avec elle ? Moi, je ne pourrais sans doute pas… Elle semble difficile, prête à se révolter constamment.

Mais il est vrai qu’il aime les femmes qui ne sont pas commodes. Une sorte de perversité chez lui.

Quand les traits de Lars remplacèrent l’image de Lilo, Pete dit :

— Maren va vous éventrer… Avez-vous pensé à cela ? Vous pouvez inventer toutes les histoires que vous voulez, elle ne les avalera pas, même sans son gadget télépathique.

Le visage fermé, Lars répondit :

— Je n’ai pas l’intention de lui raconter des histoires. Franchement, je ne pense pas à cela. Savez-vous, Pete, je crois que ces êtres venus d’autre part, quels qu’ils soient et d’où qu’ils viennent, nous tiennent vraiment à leur merci.

Pete garda le silence. Qu’aurait-il pu dire ?

— … J’ai parlé avec Nitz au vidéophone. Il m’a raconté quelque chose d’étrange. Il s’agit d’un ancien combattant d’une drôle de guerre. Je n’ai pas très bien saisi. Mais cela concerne une arme. Il m’a demandé si j’avais entendu parler de quelque chose qui s’appelle une G.T.H. Non. Et vous ?

— Moi non plus. Je ne connais pas d’arme de ce nom. La KACH nous aurait tenus au courant.

— Qui sait ? Alors, au revoir.

Pete le vit encore appuyer sur le bouton : devant lui, l’écran s’obscurcit.

 

Le zappeur de mondes
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